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Mia Coiquaud

Rencontre avec Hasan: un psy devenu gérant d'un bar-resto


Présentation

Hasan, 35 ans, je suis actuellement gérant d'un bar-resto dans le 10ème arrondissement de Paris, le HasBeen, et j'aime à dire que c'est ma deuxième vie puisqu'avant j'étais psy. Je suis né en Turquie, arrivé en France à l'âge de 7 ans, je vis à Paris avec ma Chérie et notre enfant de 6 mois.


Un événement de vie a été déclencheur dans le choix de mes études


J'ai d'abord fait un DEUG d'histoire, je ne me posais pas trop de questions sur ce que je voulais faire, il fallait faire un truc, l'histoire me plaisait. C'est un événement de vie marquant qui a été déclencheur pour que je me pose un certain nombre de questions. J'étais en deuxième année, et de là je me suis demandé pour quoi j'étais là, est-ce que je me voyais devenir prof d'histoire ou autre ?

Le parcours de psy m'intéressait car je voulais comprendre le fonctionnement humain à certains égards. J'ai donc continué à l'université, sur un cursus psycho, mais je ne savais pas encore si j'irais au bout des 5 ans pour devenir psychologue. Et ensuite c'est devenu un gros kiff, et j'ai surtout adoré ma rencontre avec les théories systémiques. J'ai fait 4 ans de formations supplémentaires après mon MASTER uniquement sur les thérapies systémiques. Je me suis ensuite spécialisé en thérapie familiale et couple.


J'ai toujours eu la bougeotte

J'ai toujours eu la bougeotte, même en tant que psy. J'ai exercé de 2009 à 2015. J'ai ouvert deux cabinets à Paris, où je travaillais en libéral. J'ai participé à la création de deux services : un service d'aide à la parentalité à la Mairie de Pantin et une unité de soins pour personnes toxicomanes, au sein d'une communauté thérapeutique à Aubervilliers. J'ai travaillé à l'hôpital de Pontoise, et aussi pour une association d'aide aux personnes en situation d'exclusion. J'ai aussi été chargé de TD à l'Université de Nanterre. Donc j'ai cumulé la casquette libérale, institutionnelle sous diverses formes, et l'enseignement.


Je savais que je ne ferais pas ça toute ma vie

En tant que psy j'ai eu le syndrome de l'imposteur, j'avais l'impression de ne pas être à ma place. J'avais des retours très positifs de mes collègues, des patients, des institutions, donc je me disais que c'était OK, on me considérait comme un bon psy. Mais il y avait quelque chose dans la posture qui ne me convenait pas, dont je n'avais pas envie. Je savais que j'adorais ce que je faisais, mais aussi que je ne ferais pas ça toute ma vie.

Je ne pensais quand même pas que je ferais ma reconversion au bout de 5 ans, au final, j'ai exercé moins que ce que j'ai étudié. Le hasard des choses est venu jouer dans cette reconversion.


La reconversion par le hasard des choses mais pas que…

Un soir on avait un peu bu avec un ami, lui aussi psy de formation, et on a eu l'idée d'ouvrir un bar. Sauf que le lendemain, au lieu de mettre tout ça sous le coup de l'alcool, on s'est dit « ben pourquoi pas ! ». Ça c'est la vision de surface ; en profondeur, je dirai qu'on ne fait pas des études de psycho ni le métier de psy par hasard. Tout ça m'a amené à une forme de compréhension de moi-même. Par là j'ai apporté des réponses au chaos qui s'était fait dans ma vie avant de prendre ce chemin-là. Quand ce chaos s'est transformé en quelque chose d'harmonieux qui me convenait, alors la fonction qu'avaient remplies mes études et mon métier n'avaient plus lieu d'être. J'ai arrêté d’exercer en tant que psy le jour où j'ai validé mon diplôme de thérapeute familial. J'avais eu des réponses.


Changer de métier


Ça a été important pour moi de me rendre compte que j'allais vraiment le faire, j'allais ouvrir ce bar, j'allais changer de métier. Pour beaucoup de gens ça paraissait inconcevable, notamment pour des collègues ou pour des personnes de ma famille. Comme je l'ai dit, je suis issu de l'immigration, et d'une certaine manière, je représentais tout ce pour quoi les migrants migrent: j'étais en France, j'avais réussi, j'avais changé de catégorie socio-professionnelle, j'étais la personne de ma famille qui a fait le plus d'études. Pour mon grand-père j'étais médecin en quelque sorte. Et là d'un coup, je me tourne vers eux en disant « Bon, je vais aller servir des pintes ! ». Ce n'était pas facile. L'étonnement passé, ma famille proche m'a soutenu, comme elle l'a toujours fait.


C'était une réelle libération, c'est ce qui a fait que ça s'est concrétisé


Les choses qui se jouaient étaient de l'ordre de la libération, réelle : je me libère des attentes, des croyances, de certains poids peut-être d'une communauté, de choses qui avaient pu me retenir avant. C'était une réelle libération.


Ce qui a fait que ça s'est concrétisé : symboliquement, ça devenait énorme. J'avais fait le tour de ce dont j'avais besoin dans la psycho, je me détachais de tout ce qu'on pouvait d'une certaine manière attendre de moi, et puis ouvrir un bar, c'est fun comme idée. On avait l'idée de créer un bar à notre image, avec ce qu'on avait envie de trouver à Paris en terme de bar. Donc pour moi, ce projet devenait l'étape suivante assez évidente, et pour mon pote aussi, pour d'autres raisons.


La question de la peur

L'étape suivante n'est pas du tout évidente quand tu es de l'autre côté de la barrière, mais quand tu passes cette barrière, alors là c'est juste évident. Il y a eu un moment où j'ai eu peur, parce que je quittais une situation confortable, avec un métier que j'aimais bien, avec lequel je gagnais bien ma vie, et que je ne savais pas comment les choses allaient se passer.


La peur du changement, de la transition, c'est normal, être anxieux, angoissé, peu importe, tout changement entraîne un sentiment d'inconfort qui est inhérent au processus. C'est pas un état qui va rester, c'est une ligne à traverser et j'ai toujours eu ça en tête. C'est comme quand la chenille va devenir un papillon, le moment de transition est inconfortable, il faut juste le passer. Très content d'avoir réussi à mettre en place ce qu'il fallait. Faut pas rester enfermé, c'est chouette aussi de l'autre côté.

Être enfermé dans un diplôme ou un métier

J'ai mon dîplôme et mon expérience de psy, donc si un jour j'ai envie de retourner à ce métier, je le pourrai. Je pense qu'on a été élevés par une génération pour qui le diplôme représentait réellement quelque chose, c'était important, ça permettait de s'accomplir dans la société. Nous on a grandi avec cette idée, mais dans le concret le diplôme ne veut plus forcément dire grand-chose, beaucoup de gens se sentent enfermés dans un diplôme ou dans un métier. En tant que psy j'ai aussi fait des permanences « hot line » pour les urgences psy, et j'avais énormément de gens en souffrance au travail. Il y avait beaucoup d'avocats, qui galéraient dans leur métier mais qui ne voulaient pas arrêter parce qu'ils avaient galéré à obtenir leur diplôme. C'était une galère sans fin… Donc je suis content de ne pas m'être enfermé dans un diplôme.


Le premier pas de la reconversion : se nourrir psychiquement

Le premier pas a été de commencer un travail de recherche, alors que j'étais encore psy. On lisait des articles, on achetait des bouquins, par exemple « Comment créer et gérer un bar ». Bon, ce livre ne m'a servi à rien, mais j'ai testé. On est allés discuter avec des gens qui tenaient des bars. On regardait des vidéos de personnes qui faisaient des cocktails avec tellement de grâce et de beauté que ça devenait un rêve de pouvoir faire ça. On se nourrissait beaucoup psychiquement à cette étape-là.


À chaque nouvelle question, on se répartissait les tâches pour trouver nos réponses, sur le papier ou sur le terrain. Pendant cette première phase c'était concret dans l'intérêt que l'on portait au projet mais pas complètement dans les faits. On invitait juste des copains chez nous pour leur faire déguster des cocktails. Avec Ben, mon associé, on est des personnes assez sérieuses, quand on s'engage dans quelque chose on y va. C'est ce qui fait que ça a fonctionné. On a commencé à faire des réunions : on prenait un verre, on jouait aux jeux vidéos et puis on rêvait du bar qu'on voulait. Ça a vraiment été un truc de potes.


La deuxième étape : se faire une expérience

L'étape suivante, c'est le concret administratif, et même physique parce qu'il faut chercher un local. Avec mon associé on a la chance d'être très complémentaires, on est bons chacun dans des domaines différents. On s'est apporté nos forces mutuelles.


La première fois qu'on a pris rendez-vous avec un banquier, on n'avait rien : pas de local, pas d'apport, pas de business plan, rien. Donc on savait qu'on allait un peu passer pour des « guignols », mais on y est allés quand même tout en sachant qu'on était loin du compte. Ça nous a permis de nous faire une première expérience face à un banquier. Il nous a posé des questions auxquelles on n'avait pas réfléchi. C'était un bon entraînement. Faut se lancer avec l'idée que tu vas te casser la figure une fois, deux fois, et puis ça fonctionnera la troisième fois.


Une amie m'a prêté un livre qui s'appelle « Comment rédiger son business plan » et il m'a été très utile ! J'ai aussi travaillé en tant que barman salarié pour me faire une expérience concrète du métier, apprendre des choses.


Aujourd'hui tout va bien !

On a fêté nos 4 ans en mai, mais ça fait plus de 6 ans qu'on est sur le projet. Entre l'idée et le moment où on a ouvert, il y a eu 2 ans et demi. Le plus long a été de trouver le local. Le bar fonctionne plutôt bien, et je pense que c'est parce qu'on ne l'a pas fait dans l'idée de gagner de l'argent. Un des banquiers que l'on avait rencontré nous avait dit que les bars qui fonctionnaient le mieux était ceux qui étaient repris par des gens qui n'étaient pas du métier. Les personnes du milieu avaient tendance à rouvrir le même type d'établissement, tandis que les autres apportaient une fraîcheur, un concept, une nouveauté qui faisait la différence. On savait qu'une grosse proportion des commerces qui ouvrent font faillite dans les deux premières années.

Photo de l'inauguration du HasBeen, 218 rue Saint Maur, Paris 10

Nous ça va, on a pu embaucher deux personnes, on a pu élargir nos propositions puisque maintenant on ouvre le midi, on propose une restauration-cantine. Si c'était à refaire, je le referais, sans hésiter.

J'aurais été bien moins heureux à continuer sur ce qui fonctionnait

Pour moi, il y a eu une révélation sur le fait que j'aime faire du commerce de proximité. Ensuite, j'ai beaucoup changé ces cinq dernières années, et si je devais ouvrir un bar aujourd'hui, il serait encore différent. Avec mon associé, on sait que l'on va vendre bientôt parce que l'on a d'autres projets. Plus en phase avec les valeurs que j'ai aujourd'hui. Ce bar a été un labo. On a été chanceux que ça fonctionne et en même temps on est un bar dans le centre de Paris, avec des bières pas chères, où on se sent un peu comme à la maison. Expérience positive. Je pense que j'aurais été bien moins heureux à ne pas oser franchir le pas, à continuer sur ce qui fonctionnait.

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