Dans son livre Femmes qui courent avec les loups , Clarissa Pinkola Estes nous transmet sa version et sa vision du conte La petite marchande d'allumettes. L'histoire se déroule en cette période de fin d'année, qui voit s'enchaîner le Solstice d'Hiver, fête de Yule, qui symbolisent le retour de la Lumière ; Noël, fête de la Nativité ; le réveillon de la Saint Sylvestre, passage vers une nouvelle année. Dans nos réalités, cette période est propice à l'introspection, aux bilans, et aux bonnes résolutions. Ce conte est donc tout à fait à propos, puisqu'il nous éclaire sur les différentes façons dont nous pouvons utiliser nos Allumettes…
Mon résumé du conte
C'est l'histoire d'une petite fille livrée à elle-même. Elle erre, seule dans les rue de la ville, cherchant à vendre ses allumettes aux passants, pour 1penny. Mais personne ne semble se soucier de l'enfant, vêtue de haillons, les pieds nus, recouverte d'un manteau si fin et si élimé que l'on peut voir au travers. La petite marchande, glacée, les pieds douloureux et les mains presque paralysées par le froid, n'en peut plus d’interpeller les passants « Qui veut des allumettes ? » gémit-elle d'une voix faiblarde. « Un penny la boîte d'allumettes », « Messieurs-dames, qui veut des allumettes ? ». Elle est à bout de forces. La foule s'affaire pour préparer le réveillon de la Saint Sylvestre, la petite marchande est ballottée, chahutée par les passants pressés. Personne ne la voit. Personne ne l'entend. Elle ne sent plus son corps. Elle décide d'aller se blottir à l'angle de deux maisons. Dans l'encoignure, elle tente de se réchauffer. Elle choisit de craquer une allumette pour se réchauffer. La lumière de la flamme la réchauffe, elle la regarde et voit à travers elle un grand salon, avec en son centre, un immense poêle à bois qui irradie de chaleur. La petite commence doucement à se réchauffer, elle sent la douceur de cette demeure accueillante. Et puis… pfffff, tout disparaît. La flamme s'est éteinte. L'enfant est à nouveau seule dans le froid, les pieds dans la neige. Elle craque une deuxième allumette. La flamme illumine son visage. Il lui semble que la Lumière transperce le mur de la maison contre laquelle elle s'appuie. Elle peut voir le salon, avec la table, une table somptueusement dressée, avec des mets tous plus alléchants les uns que les autres. Il y a aussi un magnifique sapin, immensément grand, avec des parures scintillantes, des étoiles, des sucres d'orge, des bougies, des… pfff, l'allumette est consumée, la vision disparaît. La petite n'a même plus conscience ni de son corps, ni du froid, elle n'a qu'une seule idée en tête : retrouver la douceur de sa rêverie, se laisser bercer, transporter. Elle craque une troisième allumette. Elle voit une étoile filante dans le Ciel, et puis sa Grand-Mère. Sa Grand-Mère qu'elle aimait tant, tout à coup se tient devant elle. Elle lui sourit, lui tend les bras. Quelle douceur, quelle chaleur, quel réconfort. Elle se blottit contre elle, mais soudain… Pffff, la lumière n'est plus, la Grand-Mère a disparu. La petite veut retrouver la chaleur de ses bras et la douceur de ses baisers sur sa chevelure. Elle craque encore une allumette, puis une autre, et encore une autre, elle veut garder sa Grand-Mère auprès d'elle. Elle craque encore une autre allumette, puis un nouveau paquet, puis une autre, une autre, encore une autre, et toutes les autres.
Au matin, au milieu des cris de joie qui souhaitent « Bonne Année » à qui veut bien l'entendre, on retrouve le corps de la petite marchande d'allumettes, dans un coin de la rue, entre deux maisons.
Analyse du conte selon Clarissa Pinkola Estes
Dans le livre Femmes qui courent avec les loups, l'analyse du conte est assez longue. Clarissa est psychanalyste et à ce titre, elle accorde une importance toute particulière à chaque symbole. Je ne saisirai ici que l'idée principale véhiculée par cette analyse.
Pour l'auteure, le premier problème de la petite marchande d'allumettes est qu'elle accepte de rester dans un environnement qui ne la soutient pas . La situation initiale du conte est une parfaite immersion dans un début d'initiation. Mais l'initiation serait réussie si la petite marchande décidait de partir là où sa pulsion de Vie serait soutenue et encouragée. Elle devrait, comme la protagoniste du conte de la Jeune fille sans mains, partir à la recherche de « soins nourriciers » (p.441). Mais elle ne le fait pas. De la même manière que la petite marchande a des tas de boîtes d'allumettes dans les mains, nous avons toutes beaucoup d'idées, de projets, d'envies. Il est difficile de faire naître tout cela, si nous sommes seules. L'enfant du conte a besoin que les passants achètent ses allumettes pour générer de l'argent et subvenir à ses besoins.
De la même manière, pour donner corps à nos projets, à nos talents, nous avons besoin d'un « soutien vital – de la part de gens chaleureux » (p.442). « Nous avons besoin, comme les arbres et les plantes, de nous tourner vers le soleil ».
« Le meilleur soleil du monde, c'est celui des amis qui nous aiment et offrent leur chaleur à notre vie créatrice ». S'il n'y a pas de Soleil autour de nous, alors il faut partir à sa rencontre ! Le petite marchande devrait, pour réussir son initiation, « restaurer l'estime de l'âme, l'estime de soi » (p.142). Mais elle ne le fait pas.
Le deuxième problème de la petite marchande d'allumettes est que, seule dans son coin, elle fantasme au lieu d'agir !
Très souvent, les Femmes savent bien, au fond d'elles, ce qu'elles ont à faire. Mais parfois, souvent même, quelque chose fait qu'elles restent inactives, dans un état de rêverie. Exactement comme la petite marchande d'allumettes qui reste dans son coin, à brûler toutes ses ressources en vain car « la vie qu'elle va fantasmer est alors beaucoup plus agréable que tout ce qu'elle a sous les yeux » (p.446) Au lieu d'accepter que la tâche sera rude pour se sortir d'affaire, qu'il lui faut se retrousser les manches et aller en quête d'une situation acceptable, la petite marchande se laisse bercer par des « fantaisies trompeuses ». (p.441)
Selon Clarissa Pinkola Estes, il existe trois sortes de fantaisies (p.441) :
« La première, c'est lorsque l'on rêve pour le plaisir, une sorte de sucrerie pour l'âme, le rêve éveillé par exemple. La deuxième, c'est l'imagination intentionnelle, qui ressemble à une réunion de planning. On s'en sert comme d'un véhicule qui conduit à l'action. Toutes les réussites – psychologiques, spirituelles, financières, artistiques – commencent par des rêveries de ce genre. Et puis il y a une troisième sorte de fantaisie, qui bloque tout, en entravant l'action adéquate au moment critique. C'est malheureusement à cette dernière que la petite marchande d'allumettes s'adonne, une rêverie qui n'a rien à voir avec la réalité. »
Cette troisième sorte de fantaisie, destructrice, est comparée à l'alcool, la drogue, toute forme de dépendance, toute situation qui nous maintient dans un rêve coupé de nos réalités, et qui nous endort. En restant dans cette situation, la petite marchande nie son propre pouvoir, elle brûle ses potentiels, symbolisés par les allumettes. Elle dilapide son énergie, ses ressources. Toute personne qui agit de la sorte se retrouvera « transie de froid », « vidée » au petit matin.
La petite marchande d'allumettes s'endort dans de faux paradis. Dans notre Vie à nous, il s'agit surtout d'une forme de procrastination. Nous nous berçons de nos idées et l'on se rassure avec des « quand ça ira mieux au travail », « quand j'aurai plus d'argent », « quand les enfants seront grands », « quand je serai à la retraite » pour ne pas passer à l'action. Et puis une bonne excuse vient toujours en remplacer une autre.
Cette attente, ce projet non planifié, reporté à un moment incertain, nous détourne de nous-mêmes, de nos réels besoins, et nous ne prêtons plus attention à la véritable faim de notre Âme. Nous laissons une partie de nous-même dépérir, notre rivière créative s’assécher. Dans ces moments-là, tout comme la petite marchande d'allumettes, nous n'avons pas conscience des Lumières, des potentiels que nous avons entre les mains. Dans un premier temps, la petite cherche à s'en remettre au bon vouloir des passants. Elle se place dans une situation de dépendance, en s'en remettant à des personnes extérieures qui ne lui portent aucune attention. Clarissa Pinkola Estes compare cette situation aux Femmes qui s'enlisent dans des relations où elles sont perdantes, dès le début. « Les piètres amants, les mauvais patrons, les situations d'exploitation, les complexes rusés de toute sorte » (p.445).
La petite marchande d'allumettes, épuisée, sans personne pour l'épauler, sombre dans le repli sur soi. Elle accepte de se résigner à son statut de victime, elle reste passive et passéiste, elle s'arrête, se met en pause et rêve d'un ailleurs, puis de sa Grand-Mère. Dans sa rêverie sa Grand-Mère lui donne ce dont elle croit avoir besoin : du réconfort. Mais cela lui est fatal. Si la petite marchande était davantage connectée à sa nature sauvage, sa pulsion de Vie, sa Grand-Mère lui intimerait probablement, selon moi, de se lever, d'aller frapper à toutes les portes de la ville en demandant l'hospitalité, de trouver un endroit d'accueil pour les plus démunis, d'entrer dans une église, un lieu public, un lieu de charité, bref de chercher de l'aide. Si vraiment personne ne répondait à ses sollicitations, la petite marchande aurait toujours pu chercher du bois, des objets, des journaux, tout ce qui lui tombait sous la main, et de les enflammer avec ses allumettes pour avoir un grand feu qui lui tienne chaud toute la nuit.
Sa pulsion de Vie aurait dû la pousser à faire feu de tout bois comme le dit l'expression populaire, et à se réchauffer auprès d'un grand feu de Joie ! C'est ce que je Vous souhaite pour ces fêtes de fin d'année : de trouver soutien et motivation auprès de « Soleils » qui sachent Vous réchauffer et Vous nourrir, d'agir au lieu de fantasmer, d'avoir conscience de tout l'or que Vous avez entre les mains, puis d'agir, pour faire fructifier vos dons, vos talents, vos Lumières !