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Rencontre avec Maëlle Monvoisin, directrice et co-fondatrice de « Langues Plurielles »



Depuis 9 ans, je suis directrice de « Langues Plurielles ». C'est un organisme de formation linguistique, sous forme de Scop (société coopérative et participative), que j'ai fondé avec Anna Cattan.

Nous montons des projets de formation en français et compétences clés qui vont de l'alphabétisation au perfectionnement en français. Parmi nos stagiaires, il y a des personnes qui n'ont pas eu la chance d'apprendre à lire et à écrire, enfants, dans leur pays d'origine, des personnes qui apprennent le français en venant vivre en France, des personnes sorties tôt du système scolaire et qui se retrouvent à l'âge adulte en situation d’illettrisme, ou encore des personnes ayant fait des études brillantes mais dont l'orthographe est le talon d'Achille !

Puisque tu me demandes de me définir autrement, je dirais que je suis une Parisienne bretonne qui a grandi dans le 93 et qui aime voyager ! Une passionnée d'arts vivants (dont le théâtre d'objets et la marionnette), une lectrice, une marcheuse, une yogi, une amie aussi...



Investir la culture avec une formation de traductrice a fait germer un projet

J'ai d'abord fait des études de langues, dans l'idée de devenir traductrice. Puis j'ai craint que cela soit un métier trop solitaire et j'ai pensé à la recherche universitaire. En maîtrise, pour préparer une entrée en DEA, j'ai fait un mémoire sur l'exil des artistes du Cône sud en France (accompagné par une formidable tutrice et grand historienne argentine, Marina Franco). C'était passionnant mais j'étais très jeune et je trouvais dur de questionner l'histoire... J'avais envie d'agir concrètement dans le présent, un tout autre positionnement...


Je me suis dit que peut-être cela serait intéressant de travailler dans une institution publique. J'habitais Pigalle à l'époque et j'ai contacté Danielle Fournier, élue en charge de la culture à la Mairie du 18e. Elle m'a proposé de travailler avec elle à l'organisation d'un événement « Les rencontres culture » pour réfléchir aux liens entre acteurs culturels et acteurs sociaux sur le territoire. C'était en 2004. Ce stage a été très riche en enseignements... Rencontrer différents acteurs, comprendre leurs enjeux, identifier les besoins des habitants de quartiers donnés, réfléchir à une politique locale pertinente, c'était à la fois de la réflexion et du concret, je trouvais bien là mon chemin. En parallèle, je me suis alors inscrite dans un DESS « Tourisme, Culture et Environnement » proposé par Paris I - La Sorbonne en partenariat avec l'Unesco. Je cherchais à me former à des outils de pilotage de projet.


Au cours de cette expérience au service culturel de la Mairie du 18e, j'ai rencontré François Grosjean, qui portait le projet d'implanter un parquet de bal (structure mobile en bois) pour en faire un théâtre parisien... Fin 2004, l'emplacement était trouvé, devant la Halle Pajol, dans le quartier populaire de La Chapelle et François cherchait des collaborateurs. C'est comme cela que j'ai eu la chance d'intégrer l'équipe fondatrice de ce joli théâtre, que l'on nomma « Le Grand Parquet ».


L'ambition était d'avoir une programmation « tout public » de qualité, autour des arts du conte et de la marionnette, susceptible d'intéresser les habitants du quartier comme les Parisiens et les Franciliens. Les enjeux étaient l’accessibilité de l'art à tous, la mixité des publics, la rencontre, le plaisir du spectacle et de l'échange. Nous accueillions au théâtre beaucoup de publics d'apprenants en français venus grâce aux relais des associations locales. En côtoyant ces publics apprenants, au fil du temps, je m'étonnais de ne pas les voir davantage progresser dans l'apprentissage du français. Traductrice de formation, cette question m'interpellait. En 2007, comme je découvrais pour moi-même les différents dispositifs de la formation professionnelle continue, j'ai appris que chaque salarié avait des droits à la formation. Je me suis demandé pourquoi ces personnes apprenant le français, qui étaient pour beaucoup salariées, ne pourraient pas bénéficier de la formation continue pour apprendre le français plus efficacement. C'est resté un questionnement, une idée, sans le savoir, les prémices d'un projet.


L'Envol, une forme de liberté et des questionnements…

En juillet 2009, je quittais le théâtre du Grand Parquet et dans l'espace de l'été, l'idée de fonder une structure qui permettrait à ces personnes d'apprendre le français et d'autres langues dans le cadre de la formation continue, s'est concrétisée. Je rêvais d'une école accueillante et conviviale, avec des publics et des formateurs professionnels du monde entier. Il y aurait beaucoup d'échange, des sorties au théâtre, des ateliers de théâtre pour apprendre la langue, peut-être même des voyages !

Je ne me souviens plus bien de la manière dont j'ai formalisé les choses, mais en tout cas, j'avais 29 ans, du temps, de la liberté, je me suis lancée.


Le projet de « Langues Plurielles » s'est construit au fur et à mesure. Ce sont les rencontres qui l'ont fait avancer.


Je me suis inscrite aux cours de création d'entreprise des CMA (Cours Municipaux d'Adultes) de la Ville de Paris. C'est Claude Buchet, un formateur haut en couleur, qui animait ces ateliers. Puis, j'ai commencé une enquête de terrain, pour sonder la réalité des professionnels du secteur et les besoins et envies des apprenants en langue. C'est comme cela que j'ai rencontré Anna Cattan, formatrice pour adultes, en français, pédagogue (ou « andragogue » !) talentueuse et engagée. Nous avons tout de suite su que nous allions travailler ensemble. On était en janvier 2010.

N'étant pas formatrice moi-même, cette rencontre avec Anna était essentielle. Elle venait conforter mes intuitions et donner de l'expérience de terrain et des moyens pédagogiques au projet. Le binôme que nous formions permettait d'avoir des appuis solides, une forme de légitimité pour démarrer l'aventure... C'est la coopération, l'échange et l'apport des compétences de chacune qui a permis l'essor de Langues Plurielles.



À la rencontre des acteurs du milieu professionnel et des futurs partenaires…

Nous avons poursuivi les rencontres avec des professionnels du secteur, notamment avec des formateurs. Beaucoup d'entre eux, ou plutôt beaucoup d'entre elles, rencontraient de l'insatisfaction dans l'exercice de leur métier : de l'isolement sur les questions pédagogiques, des emplois du temps morcelés, des déplacements nombreux et non indemnisés, de la précarité financière... Nous sentions de la passion mais aussi du découragement. Certaines disaient envisager de changer de voie professionnelle. Celles qui se sentaient prêtes à poursuivre étaient souvent en couple, avec quelqu'un qui pouvait assurer les arrières financièrement... Cela indiquait bien un secteur avec peu de moyens financiers.


Nous avons rencontré également l'agence francilienne de lutte contre l'illettrisme, des employeurs, des Opcas (à l'époque collecteurs de fonds de la formation professionnelle, jouant un rôle de conseil et de financement de la formation). Ce furent des rencontres enthousiasmantes car nous sentions bien que le secteur évoluait, que l'enjeu qui était le nôtre d'ancrer l'apprentissage des langues en contexte professionnel, était partagé et d'actualité.


Nous avons cherché également à interroger des apprenants afin de comprendre les besoins, interroger les envies.

Cette vaste étude de marché a duré 5 à 6 mois et nous a donné beaucoup de matière pour affiner notre projet, prouver son utilité, monter un business plan convaincant.

L'enjeu était également de solliciter des partenaires financiers et notamment d'emprunter de quoi démarrer l’activité (environ 50 000 euros)... Je ne l'ai pas précisé, mais j'avais très peu d'argent. Anna, de même...


J'ai donc fait le tour des banques et des agences du nord est parisien. J'ai dû rencontrer au moins 25 conseillers bancaires !

En parallèle, nous cherchions des locaux. Nous avons sollicité la Mairie du 18e, et la Ville de Paris, en espérant que notre projet à impact social les séduirait et qu'ils nous faciliteraient la rencontre et les négociations avec des bailleurs sociaux.


Et puis finalement, le puzzle a pris forme, tout s'est emboîté ! Cela a pris près de 2 ans. Nous nous sommes positionnées sur nos locaux actuels avec une association, le CEFIL, également organisme de formation linguistique, avec une activité complémentaire à la nôtre.


Période très riche, pleine de rebondissements et stressante parce qu'arrive un moment où l'on n'obtient le prêt que si on a les locaux, mais on n'a les locaux que si on a obtenu le prêt, on ne peut créer l'entreprise que si on a les locaux et le prêt... Je t'épargne tous les détails, devenus lointains, mais c'est un moment par lequel passe, je pense, beaucoup d'entrepreneurs et où il faut être bien accroché !



Entrepreneuse, femme entrepreneuse ?

Question difficile... Je me suis toujours positionnée comme une porteuse de projet, et pas comme une femme porteuse de projet. Mais il se trouve qu'en effet je suis une femme, j'étais une jeune femme... et cela avait notamment un impact sur les aides auxquelles je pouvais prétendre. J'ai bénéficié d'un fonds de garantie spécial pour les femmes entrepreneuses ; c'est donc une carte que j'ai jouée sans être complètement à l'aise avec ça. Peut-être parce qu'il y a 10 ans, au sortir d'une très belle expérience professionnelle, je ne m'étais jamais senti confrontée à des discriminations dans le cadre de mon travail.


Par ailleurs, la Caisse d'Épargne qui nous a finalement octroyé un prêt faisait un baromètre sur les femmes entrepreneuses, et j'ai été mise en lumière avec cette étiquette. C'est quelque chose qui me questionnait. Ce qui m'intéressait, c'était avant tout les contenus de mon projet...


Toutefois, au cours de mes démarches de créatrice d'entreprise, j'ai fait face à des remarques sexistes. Etant tributaire des réponses (notamment financières) de mes interlocuteurs, j'ai trouvé difficile de réagir comme je l'aurais souhaité. La question du sexisme était et est évidemment encore un sujet d'actualité.



Être bien accompagnée, et prendre beaucoup de plaisir à monter le projet

Au final, j'ai eu de la chance parce que j'étais bien entourée, accompagnée et suivie par différents organismes dans mon projet de création d'entreprise : les CMA, la MDEE (Maison des Entreprises et de l'Emploi) du 18e, Paris Initiative Entreprise, et j'avais aussi un accompagnement via Pôle Emploi et une boutique de gestion. La diversité de ces apports m'a été utile et m'a permis d'avancer par étape.

À la fin de mes deux ans de chômage, l'entreprise était montée et mes indemnités de gérance ont pris le relais de mes indemnités Pôle Emploi. Ça tombait très bien parce que je n'avais pas d'autre filet financier !


Les choses ont été d'une certaine manière plutôt fluides, même si c'était une périodes pleine d’interrogations, de doutes et d’appréhensions. A un moment, après plus de 16 mois de travail sur la construction du projet, j'ai failli reprendre une activité salariée….


Je pense que lorsqu’on décide de monter quelque chose, il faut y prendre beaucoup de plaisir, si non c'est juste chronophage et énergivore ! Prendre du plaisir continue d'ailleurs d'être essentiel tout au long de la vie de l'entreprise.


Aujourd'hui, nous formons une belle équipe solidaire, d'une quinzaine de personnes. Avec la transformation de l'entreprise en Scop en 2014, notre projet coopératif a pris complètement corps. Nous faisons vivre au quotidien nos valeurs humanistes !



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